La terre cuite dans l’architecture romaine
La terre cuite dans l’architecture romaine
L’architecture romaine, réputée pour ses mosaïques, ses opus sectile* et ses fresques, se base sur un matériau bien plus récurrent que ces attraits ornementaux (quoique souvent moins présent dans l’imaginaire collectif) : la terre cuite.
Autrement connue comme la « TCA », la terre cuite architecturale constitue une ressource majeure dont l’étude se révèle essentielle pour appréhender la morphologie des villae. De manière générale, elle adopte des formes variées qui peuvent être classées en deux catégories principales : la brique, essentiellement utilisée pour le montage des parements et des éléments porteurs, et la tuile, utilisée quant à elle pour le couvrement. Il s’agit ici d’en donner un aperçu
LES BRIQUES COMME ÉLÉMENTS STRUCTURANTS
Les chantiers de construction romains constituent un assemblage complexe de savoir-faire qui implique la mise à contribution de nombreux corps de métiers, allant du tailleur de pierre au chaufournier en passant par le charpentier et le potier, sans compter le peintre et le mosaïste… Pourtant, la confection de certaines composantes architecturales est relativement facile à mettre en œuvre : parmi elles, on compte notamment la brique, omniprésente dans les bâtiments publics et privés. Le succès que rencontre ce matériau sous l’empire n’est pas dû au hasard : sa nature élémentaire autorise le recours à une main-d’œuvre peu qualifiée et, de ce fait, abondante. Au temps de l’esclavagisme, c’est un atout inestimable…
Matériau « non-noble », la brique est accessible d’un point de vue technique, mais également sur le plan économique. Elle n’est en réalité que de l’argile laissée au soleil (brique crue), ou cuite dans un four (brique cuite). Structurelle, fonctionnelle, décorative… elle endosse des rôles très divers qui en font un élément phare dans la conception des volumes. Les ruines antiques de la Ville Éternelle en témoignent : dépouillée de ses placages en marbre, Rome révèle son ossature de briques.
La multitude de briques régulièrement mises au jour lors des fouilles archéologiques souligne, en elle-même, un élément primordial de leur conception : les Romains confectionnent de larges plaques d’argile cuite qui sont par la suite fractionnées afin de rentabiliser leur rapport métrique. Il s’agit donc plus ou moins d’une forme de « production en série » avant l’heure. Trois catégories différentes de briques sont communément identifiées :
• les bessales (carrés de 19,7 cm de côté), permettant de réaliser deux briques triangulaires de 19,7 x 19,7 x 27,8 cm.
• les sesquipedales (carrés de 44,4 cm de côté), permettant de réaliser quatre briques triangulaires de 44,4 x 31,4 x 31,4 cm ou huit briques de 22,2 x 22,2 x 31,4 cm.
• Les bipedales (carrés de 59,2 cm de côté), permettant de réaliser neuf bessales ou dix-huit briques triangulaires de 19,7 x 19,7 x 27,8 cm.
Il convient de noter que les bessales n’étaient pas toujours découpés et étaient parfois utilisés tels quels pour former les pilae des hypocaustes (système de chauffage au sol), tandis que les bipedales étaient employées pour former leurs suspensurae.
Par ailleurs, largement utilisées dans l’architecture des villae, les briques ne se résument pas nécessairement à des modules angulaires : des quarts-de-rond et des demi-cercles étaient aussi régulièrement produits pour les colonnes et colonnettes. Dans certains cas, des briques-claveaux ont également été observées : il s’agit de briques trapézoïdales constituant les éléments d’un arc.
Outre ces éléments particuliers, la brique était employée pour l’érection des élévations. La conception des murs de l’Antiquité à nos jours n’a pas beaucoup évolué et le principe reste le même : on édifie deux parements en brique parallèles joints à l’aide de tout-venant (mélange de mortier, de cailloutis et autres agrégats). Ce type de murs à chaînage de briques est réputé apparaître vers à la fin du Ier-début du IIe siècle apr. J.-C. Dans la plupart des cas, les hypoténuses des briques triangulaires garantissent alors la linéarité du mur et forment un plan vertical qui était régulièrement recouvert d’enduit (parfois orné de fresques, en intérieur). De manière générale, la brique n’était jamais laissée apparente : les colonnes, quant à elles, étaient couvertes de stuc auquel certains traitements spécifiques étaient parfois appliqués à des fins décoratives, le but étant de donner l’illusion d’un bloc monolithique.
Au-delà des murs porteurs, bon nombre de cloisons étaient édifiées à l’aide de tubuli (formes de tubes en terre cuite) et les murs étaient parfois habillés de briques de placage : ces dernières étaient ornées de stries qui pourraient avoir servi à assurer leur adhésion pour la formation de cloisons creuses. Enfin, la brique était régulièrement employée pour l’habillage des sols ainsi que pour la constitution des bassins pour leur étanchéité.
LES TUILES EN GUISE DE COUVREMENT
Les couvrements de bâtiments étaient constituées d’éléments en terre cuite que l’on nomme tegulae. Il s’agit de tuiles plates de forme rectangulaire ou trapézoïdale, dotées de rebords ainsi que d’encoches permettant de procéder à un emboîtement. La morphologie des tegulae interroge et certains spécialistes se sont essayés à la déduction du poids et de l’inclinaison de la couverture. Les résultats obtenus demeurent néanmoins approximatifs d’où l’intérêt de l’archéologie expérimentale… !).
Dans les toitures romaines, les tegulae sont complétées par des imbrex. Semi-cylindriques, ces tuiles recouvrent les rebords des tegulae et garantissent ainsi la cohésion et l’étanchéité de la couverture. Le rapport tegualae-imbrex est donc de 1:1.
Ces composantes sont couronnées par les tuiles de faîtage, beaucoup plus rarement découvertes lors de fouilles archéologiques. Enfin, les toitures s’achèvent par des antéfixes, qui sont des tuiles décoratives placées aux extrémités des toitures. Leurs ornements varient, représentant souvent des motifs historiés.
Enfin, certains types de tegulae sans encoche sont régulièrement employés pour former des canalisations.
L’INTÉRÊT DE LA TCA POUR L’ARCHÉOLOGIE
La confection d’éléments en terre cuite nécessitait parfois le recours à des spécialistes qui disposaient de leurs propres ateliers. L’intérêt d’une production privative réside dans le fait qu’une marque de fabrique était communément appliquée à chaque élément produit : il s’agit des « estampilles ». Ces dernières ont l’avantage de fournir une indication concernant la provenance des matériaux employés pour une construction, et donc d’analyser les jeux d’échange et de fourniture.
Outre ces informations spatiales, des données d’ordre chronologique peuvent également être tirées de l’étude de la terre cuite grâce à deux procédés scientifiques récents : l’archéomagnétisme et la thermoluminescence. L’archéomagnétisme consiste en l’étude des empreintes laissées par le champ magnétique terrestre au sein d’un matériau. La thermoluminescence consiste quant à elle en l’étude de l’emprisonnement des effets de la radioactivité naturelle dans les cristaux constituant un matériau. Ces deux méthodes fournissent une datation de la cuisson de l’élément soumis aux analyses.
Ainsi, la richesse des informations pouvant être extraites de l’étude du mobilier archéologique en terre cuite est telle que l’analyse de ce matériau est tout aussi pertinente à l’heure actuelle que son exploitation dans l’architecture romaine il y a une vingtaine de siècles.
*Marqueteries ou pavages constitués d’un assemblage de marbres ou de pâtes de verre découpées.
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